Après le rallye routier africain improvisé la veille dans le KwaZulu-Natal, c’est un nouveau pays qui s’ouvre à nous : le Swaziland. Enfin, il faut l’appeler Eswatini désormais. Encore un petit royaume planqué dans ses montagnes. Mais tout commence par une rencontre à la frontière.
Road trip A2 en Afrique : un nouveau royaume, une nouvelle montagne, un pays différent

Nous n’avions pas fait plus d’un petit kilomètre, qu’elles nous attendaient. Cachées derrière les acacias qu’elles sont venues dévorer, des girafes ! Petit moment Roi Lion ou Daktari, selon les générations. La région de Pangola, où nous nous trouvons, ressemble à cliché pour occidental en mal de documentaires animaliers. Ici, les « games », ces réserves privées qui permettent d’observer la faune sauvage, sont nombreux. Et les lodges qui vous accueillent, vous offrent leur interprétation du monde perdu de Conan Doyle.
Une Afrique qui semble déconnectée de la réalité malgré son intérêt économique vital pour la région alentour. Pendant que nous filons sur Mbambane la capitale, nous percevons une ambiance morose dans les villes que nous traversons. L’année dernière, un mouvement populaire a tenté de renverser le gouvernement à cause de la corruption et de la situation économique déplorable du pays, pourtant riche en ressources naturelles. Un an plus tard, la situation ne semble pas s’être amélioré et nous sommes probablement les premiers touristes post-covid.
L’Eswatini s’avère très différent du Lesotho : deux fois plus petit, deux fois moins peuplé, trois fois plus riche (par habitant, en théorie), et surtout, on n’y boit pas de la Maluti mais la bière Sibebe. Ce royaume Zulu n’est pas complétement prisonnier de son géant de voisin sud-Africain, puisqu’il possède une frontière avec le Mozambique.
Si le Lesotho et notamment le Sani Pass nous a offert des paysages lunaires, très minéraux, l’Eswatini c’est un mélange entre Mars et la planète Endor dans Star-Wars, les Ewoks en moins. Plus nous montons vers le nord, plus la montagne grimpe et verdit. Parfait pour mettre en valeur la latérite et cette couleur ocre de la terre africaine.
Road trip A2 en Afrique : la ruée vers l’or

Nous sommes à la fin de notre voyage et nous commençons enfin à ressembler à des voyageurs endurcis par la route. Cela tombe bien, Pigg’s peak ressemble à une ville du far-west : artère centrale bien droite avec des bâtiments alignés, des commerces et le KFC au bout. Ça grouille de vie, c’est la cité des chercheurs d’or, celle de William Pigg qui a découvert le filon en 1884. Mais depuis, le filon a changé et ici, c’est la ruée vers le bois désormais. Des forets d’exploitation interminables, des scieries et des camions chargés de billes de bois gigantesques, à n’en plus finir.
La route principale est goudronnée depuis quelques années, certainement par les Chinois qui ont fait de l’Afrique australe leur propre ruée vers l’or. Mais dès que vous prenez la tangente, c’est la terre ocre partout. Pour la petite KTM, peu importe, une route, c’est une route et tout lui va. Dans la latérite, on peut rouler vite, mais il faut en permanence surveiller les trous. Les pluies détruisent les pistes et cela devient vite compliqué. Sur le sec, cela secoue, mais sur le mouillé, c’est un coup à rester englué, au mieux. Les locaux ont l’habitude et sont capables de tout faire rouler là-dessus, du grumier qui va nous ensevelir le casque de poussière, au taxi le plus pourri qui va passer grâce à une lecture de la piste redoutable.
Je ne sais pas si c’est l’altitude, mais on hallucine un peu de cette ambiance où le Canada côtoie l’Afrique, une partie de la population vient chercher la richesse et la modernité, l’autre tente juste de vivre au jour le jour.
Road trip A2 en Afrique : mirage de l’abondance

Nous redescendons vers le barrage de Maguga qui sert à alimenter la grande Afrique du Sud, tributaire de ses châteaux d’eau de petits voisins. D’ailleurs, le financement du barrage a été pris en charge par les Sud-africains, comme au Lesotho. Maguga offre une perspective différente, celle des petits lodges juchés à flanc de colline, face au lac artificiel, et qui transformeront votre séjour en pause sur les bords d’un lac suisse.
En remontant vers notre lodge, Philippe me promet un autre moment « out of Africa ». Nous voilà en train de rouler sur les pistes, au milieu des champs immenses d’Eucalyptus (oui, les forets) qui semble nous avaler pour nous faire disparaitre à tout jamais dans son combat entre le vert et le rouge. Puis, on tourne à droite, la piste devient un chemin difficile, dans une foret redevenue naturelle. Nous passons un portail, des petits singes sont chargés de l’accueil, ou plutôt, nous venons les faire chier en pleine séance d’épouillage.
Nous voilà dans un autre paradis perdu dans son écrin de verdure. Encore fantasme du touriste européen qui devient réalité. Le personnel nous propose de choisir entre dormir dans une luxueuse cabane au-dessus de la rivière ou dans une hutte tout aussi cosy. Après tout, la fin de notre voyage devait être un peu plus douce pour nous, mais la cavalcade en a décidé autrement et nous profiterons à peine de notre oasis et des bons côtés de la schizophrénie de l’Afrique.

La nuit tombe, nous sommes seuls dans le lodge, hors saison, et le repas est servi à 18 h tapante. Le diner, au coin du feu, sera l’occasion de découvrir le propriétaire. Un Canadien, fils de diplomate, qui a grandi un peu partout sur le continent. Établi ici dans les années 70 dans ce qui était alors une ferme, il nous raconte que sa XT 500 était parfaite pour circuler sur les chemins et les routes qui n’étaient pas encore goudronnées. Il nous explique que le Covid a laissé des traces, mais ici pas d’aide de l’État ou de filet de sécurité. Et difficile d’expliquer aux employés qu’il n’y a pas de travail ou plus d’argent dans les caisses, tout en faisant des travaux pour anticiper le retour du tourisme. Petit moment étrange, avec cet éternel expatrié, désabusé, perdu dans sa propre histoire et dans sa prison de verdure.
Un dernier Whisky, pas d’internet, nous filons au lit sans nous forcer. Il est 21 h, mais la fatigue du voyage se fait sentir, et demain, le dernier jour, la chevauchée sera intense à défaut d’être fantastique.
Road trip A2 en Afrique : this is la fin, my only friend, la fin

Il est 5 h du matin, le soleil me gratifie de la plus belle photo du voyage, pour me saluer dans mon effort. « Mets ce que t’as de plus chaud, ça va cailler », me dit Philippe le météorologue. Sceptique, je lui fais confiance, il a certes raté une fois un embranchement, mais il s’est avéré précieux tout le voyage pour sa connaissance du pays et ses subtilités à moto.
Nous revoilà sur la piste, il fait encore nuit, j’ai mis les lunettes de soleil comme un con, par réflexe. Je ne vois rien, je suis engourdi de sommeil et les premiers kilomètres à fond en tout-terrain avec un Philippe pressé piquent un peu pour se réveiller.
Voici le paradigme : Nous devons faire 450 km pour rendre les motos avant 13 h. Nous avons une première partie sur des petites routes, une frontière à passer, une ligne droite infinie, puis l’enfer urbain de la circulation sur Johannesburg. Le tout avec 43,5 ch, donc impossible de rouler à 200 de moyenne.
Il avait raison Philippe, ça caille, sévère. Les gants d’hiver ne sont pas de trop, et le froid pique à travers les couches de vêtements thermiques. Plus l’on descend, plus il fait froid, étonnamment « la magie des hauts plateaux l’hiver » tente de m’expliquer Philippe le géographe.
La cavalcade est monotone, la ligne droite qui file dans l’infinie platitude de cette région agricole, me rappelle le début de notre voyage dans ce western africain qui a fait office de voyage. Tranche de vie dans ces stations-services avec fast-food où l’on croise d’un côté les petites familles d’Afrikaners qui partent pour plusieurs jours bivouaquer en autonomie dans le bush, de l’autre les bikers du weekend qui, ici, se sont appropriés la culture des patchs et du MC, sans les aspects obscurs (ou presque).
Le retour sur les autoroutes de la capitale me font percevoir Paris comme une petite ville de province avec son petit périphérique. Mission accomplie, il est midi, nous rendons les motos, un simple protège-main pété, en guise de souvenir.
Nous décidons de nous offrir 24 heures en goguette, grâce à Philippe qui connait la ville comme sa poche, avec une passion pour les quartiers pourris. Match de Rugby et bières dans le plus vieux pub de la ville, balade downtown pour admirer les graffitis et parler grandeur et décadence d’un pays qui fait tout vite, tout dans l’extrême. Passage par Soweto, retour sur l’apartheid et son héritage. Il faudrait une semaine d’apéro pour laisser Philippe raconter l’histoire de la ville, sa ville. Comme quoi, sous le casque d’un motocycliste, il y a aussi un cerveau, parfois.
Notre aventure se termine comme elle a commencé, avec un dernier T-Bone et une bouteille de Shiraz, en faisant le bilan de ces 2 700 km d’aventure.
Le voyage à moto, c’est l’expérience du cow-boy solitaire qui traverse les grands espaces sur sa monture. À la fois déconnecté du temps et du monde et en perpétuelle recherche de sens, de contact, de découverte. À moto, on tente de distordre l’espace-temps pour vivre à fond le moment. Pourtant, parfois, il suffirait surtout de ralentir et de s’arrêter pour en profiter.
Si vous avez un permis A2 en poche, il faut se lancer sur la route et ne pas avoir peur de ne pas posséder la bonne moto, les bons équipements ou les bonnes connaissances. On ne peut pas tout prévoir ou tout contrôler, c’est le bonheur d’une aventure, celui de grandir au fur et à mesure. Je ne serai pas le même après ce voyage, comme après chaque voyage.
C’était mon grand road-trip pour célébrer la fin de mon A2. Et j’espère qu’il va vous inspirer à votre tour et pourquoi vous inciter à raconter votre histoire de lonesome cow-boy A2 sur ce site !

Ah, déjà fini ! C’est quand le prochain ? C’était bien chouette tout ça !
Merci ! Un nouveau voyage bientôt j’espère 😊
Chouette lecture, merci.Une pensée immédiate et très respectueuse pour Itchy Boots, la chaîne de l’ingénieure minière néerlandaise Noraly qui en a fait rêver avec ses journées d’interminables, improbables et parfois assez terrifiants roulages SEULE, toujours racontés avec une désarmante simplicité.