Ce devait être deux jours de transition, notre petite pause du voyage. Mais la route en a décidé autrement et a transformé notre voyage en cavalcade. Comme deux cow-boys sur la trace du Poney Express, nous avons avalé les kilomètres. Un défi à l’espace-temps : de 3 000 m d’altitude dans les montagnes du Drakensberg jusqu’au niveau 0 de l’océan Indien, de 0 degrés à + 25 °C, de l’ouest à l’est, 1000 km engloutis en deux jours avec nos petites KTM 390 Adventure. Et non sans suspens.
Road trip A2 en Afrique : de l’enfer de pierre au paradis tropical

La descente devait être plus facile, elle a été toute aussi périlleuse dans les cratères de la route et les tas de pierre qui glissent sous les roues de ma pourtant petite moto. Freinage glissant et équilibre précaire, je n’ai quasiment pas passé le second rapport, les jambes sorties, à l’embrayage pour ralentir, sans style, mais avec l’envie de ne rien péter dans mes affaires. Une petite chute au ralenti pour chacun, afin de se rappeler de rester concentré. Le pare-main à tout pris, ce sera le droit de passage payé au Sani Pass.
Sortant du Lesotho, je pensais être blasé de la suite du voyage. Il a fallu 100 m pour me faire changer d’avis. Comme souvent, j’avais tort. Au pied du Drakenberg, le paysage est à couper le souffle, complètement différent de ce qu’il y a 2000 m plus haut. Ici, c’est le paysage du roi lion et l’ambiance lodge de luxe qui donne comme une envie de safari photo plutôt que de moto. Le contraste est amplifié par les routes parfaitement goudronnées et qui donnent l’impression d’arriver à Disneyland.
Cette journée n’est pas dédiée à la photo, alors juste un coup de drone et on repart pour avaler au pas de charge les 271km qui nous séparent de Durban sur la côte de l’océan indien, où nous devons passer la nuit.
C’est donc un programme de de cow-boy, à chevaucher dans des paysages qui vont nourrir la pensée et l’imagination. Les grandes fermes des agriculteurs blancs et leurs immenses champs, bordés par des routes impeccables, aux arbres ordonnés, donnent l’impression de rouler aux États-Unis. Le Midwest, comme une idée fixe de ce voyage en Afrique du Sud.

Les champs laissent place aux forêts d’exploitaiton du bois d’eucalyptus et de sapin, les Vosges en plus grand. Le bois est une ressource importante pour l’économie du pays et nous allons croiser et dépasser en permanence ces immenses camions grumiers.
Nous montons une colline, la température descend, les épineux font de l’ombre et sa caille sévère. Nous redescendons et la température remonte avec une dose de moiteur en plus. On vient de changer de climat, on se rapproche de l’Océan indien doucement, les palmiers et les champs de cannes à sucre ont pris le dessus. La route est sinueuse et ressemble à un paradis pour motard en mal de virages. Oublié le chaos du Sani Pass, les nids de poules du nord du Lesotho, l’asphalte ici est doux. Sur nos petites KTM, on se retrouve à attaquer les virages. L’ADN Duke de la 390 se révèle, la moto est saine et je me retrouve presque à sortir les fesses. Philippe devient usant à suivre. La microseconde pendant laquelle je relâche du gaz dans le virage, lui permet de fuir loin devant. Le rapport de trop et je recule dans la montée. Le petit monocylindre est vaillant, accepte tout, mais sera exigeant sur le régime moteur lorsqu’il s’agit de grimper ou de doubler un grumier. Nous passons une après-midi délicieuse à ne faire que rouler, réchauffé par la lumière de l’après-midi. J. La thérapie parfaite pour oublier les bobos du Sani Pass.
Un simple arrêt à une station service et Philippe le géographe est de retour, « tu vois la différence ? On est chez les Zulu ! Écoute les claquements quand ils parlent », Phil le linguiste est de sortie, il s’amuse à saluer en langue Zulu pour surprendre les pompistes qui sont sur le cul. Je me marre, ce mec est un génie farfelu.
L’urbanisation se densifie tout doucement, l’ambiance tropicale me fait penser aux pays d’Afrique équatoriale, cela pourrait être le Cameroun, avec de bien meilleures routes. Et puis soudain, caché derrière une montée anodine, le retour à la civilisation industrielle. Je suis complètement déstabilisé, on se retrouve sur un échangeur d’autoroute, entouré de Mall et de bâtiments énormes. Le choc est brutal, je me fais pousser par les taxis, klaxonné, et je manque de perdre Phil dans le trafic devenu dense d’un coup. Bienvenue dans la banlieue de Durban.

Durban est une grande ville portuaire, industrieuse, c’est le carrefour du commerce avec l’Inde et l’Asie. L’export de la canne à sucre a fait sa richesse.De la ville, nous ne verrons pas grand-chose : un centre historique avec de beaux bâtiments coloniaux qui tombent doucement en désuétude. C’est densément peuplé, populaire, ça sent bon le métissage, mais sans les blancs qui ont fui il y a longtemps pour les banlieues sécurisées.
Durban, cité balnéaire qui ressemble au reste du pays : des contrastes énormes : des tours, des touristes qui profitent de la plage, une cité immense, riche et pauvre à la fois. Son stade flambant neuf posé au milieu comme un ovni. Le temps de découvrir la cuisine indienne, laver nos sous-vêtements qui sentent le cow-boy fatigué, profiter d’internet pour appeler la France et nous voilà reparti.
Road trip A2 en Afrique : de la mer aux emm*rdes

Encore une simple journée de transition pour rallier la frontière du Swaziland, enfin, il faut dire Eswatini maintenant. 400 bornes, arrivée en milieu d’après-midi dans un lodge pour siroter des gins tonics en regardant les girafes au loin. Beau programme non ? Nous allons faire 650 km, sans pause quasiment, jusqu’à la tombée de la nuit, avec un gros coup de chaud au milieu.
Pépère sur l’autoroute qui quitte Durban, Phil le sud-africain connait la route et sa confiance m’invite à lui faire confiance. Sauf que l’autoroute, c’est chiant. Et lui comme moi, finissons par somnoler. Arrivé à un péage « tu ne veux pas qu’on vérifie, j’ai l’impression qu’on a raté la sortie ». Effectivement, nous avons fait 40 bornes de trop. « Désolé, j’étais en train d’écrire mon papier dans ma tête, je n’ai pas fait gaffe », me lâche Philippe le reporter, « tu ne fais pas ça toi ? », non pas vraiment et tu ne veux pas savoir. Le détour via les champs de cannes à sucre va nous faire perdre 45 minutes. Les joies de naviguer à vue, sans GPS, mais rien de dramatique.
Nous entrons au cœur du Kwazulu. Nous nous éloignons de l’océan indien et les paysages retrouvent un air de savane. Nous sommes au cœur des anciens états indépendants noirs. Pas vraiment la même ambiance que les grandes fermes des blancs, ici, c’est l’Afrique du Sud plus pauvre. Les Zulu sont plutôt polis, fiers de prime à bord, mais sympathiques quand on trouve un sujet de conversation intéressant.
Nous voilà détendus, sur les routes qui sillonnent gentiment la campagne. La ville d’Ulundi, que nous traversons, a été envahie par les KFC et les centres commerciaux. La comparaison avec les États-Unis revient, pour le meilleur et là, pour le pire. Pourtant, il suffit d’une dizaine de kilomètres pour retourner sur le grand continent, au milieu de nulle-part. Cette fois aussi, c’est pour le pire. Nous croisons d’abord des véhicules blindés de la police avec une dizaine de policiers qui nous regardent passer un peu hébétés.
Blancs sur des motos oranges, on passe un peu pour des extraterrestres, si ce n’est des ahuris. Nous entrons dans la petite ville de Nongoma et percevons immédiatement une ambiance étrange. Les regards sont appuyés et pas très accueillants, quelques mots, certainement peu charmants, se lisent sur les lèvres. La route est jonchée de bris de verre, de plantes arrachées, et de pierres. Ça a chauffé ici, il n’y a pas longtemps. Soudain, le voyage au pays de Candide sent le souffre.
On croise un taxi qui roule à fond, surchargé de mecs énervés qui brandissent le poing. Nouvelle alerte. Ok, ils vont dans l’autre sens, il ne vaut mieux pas s’arrêter. Sauf qu’au bout d’une ligne droite, nous apercevons au loin un camion citerne en travers de la route, pris d’assaut par une foule massée autour. J’arrête immédiatement Philippe, « C’est la première fois que je vois ça dans le secteur », me dit-il désagréablement surpris. L’Afrique du Sud violente se rappelle à nos bons souvenirs.
En cas de doute, pas de doute et je préfère respecter une règle de base : quand ça part en couilles, le blanc finit toujours par servir de bouc émissaire. L’héritage colonial qu’il faut assumer quand on vient jouer aux touristes innocents. Philippe est sceptique, mais change vite d’avis en regardant les taxis rebrousser chemin sans demander leur reste.
Oui, faisons pareil ! Pas envie de tenter de passer et de finir lynché dans une émeute avec laquelle je n’ai rien à voir. Retour sur nos pas, traversée de la ville, les gens nous regardent toujours énervés, on repasse devant les flics et on découvre que l’un des blindés a été retourné. Ah quand même ! « On va passer par Vryhei plus au nord pour piquer sur Pongola », Philippe trouve le seul itinéraire alternatif qui nous fait faire un détour de 200 km.
Road trip A2 en Afrique : plus rapide que le soleil

Retour au calme. Les premiers 100 km se font sur une ligne droite qui n’en finit jamais d’être roborative. J’ai mal au cul pour la première fois du voyage. Mais ça laisse le temps de réfléchir à ce qui s’est passé. Nous apprendrons plus tard que les émeutes durent depuis 1 semaine. Nongoma est privée d’électricité depuis tout ce temps et les habitants en ont ras-le-bol. En plus, le gouvernement fédéral a appointé un représentant qui est discrédité.
L’Afrique du Sud, deuxième puissance économique du continent, pays industrialisé, est tributaire du charbon pour ses centrales électriques. Sauf que l’Etat préfère l’exporter pour gagner de l’argent, ce qui donne au mieux des pannes d’électricité récurrentes dans les villes, à Johannesburg c’est par quartier, au pire, plus rien pendant plusieurs jours.
Il est 15 h 30, c’est l’arrêt essence. L’avantage d’avoir un mono cylindre qui consomme 3,5 l/km en moyenne, c’est qu’on fait le plein tous les 370 bornes, donc généralement une fois par jour. « Il faut qu’on prenne une décision », me dit Philippe inquiet, « on est encore loin de Pongola donc Soit on trace, soit on dort à mi-chemin quelque part. ». Il va faire nuit vers 17 heure, et en Afrique ne pas rouler de nuit est une règle d’or pour éviter les accidents et les emmerdes. 150km, sur les routes de campagne à parcourir en moins de 2 heures avec les Katoche, semble être la décision la plus sage.
C’est donc une course contre-la-montre et contre le soleil. Une cavalcade, lumière rasante, digne de héros de western. Les petites KTM vont se montrer à la hauteur et révéler qu’elles sont aussi des routières accomplies. Les pilotes cow-boys que nous sommes adoptent un rythme soutenu, tout en gardant toutes les marges de sécurité qu’implique de rouler ici : obstacles sur la route, vaches, chèvres, singes, trous, et autres voitures qui foncent sans se soucier des petites motos qu’ils ne voient pas arriver.
La route est joueuse en plus, les virages s’enchainent, il faut rester concentré. Conduite coulée, mais soutenue, interdiction de trainer, mais aussi interdiction de rouler au-dessus de ses pompes, sinon c’est la sanction. Et ici, pas d’hôpital. Nous avalons les kilomètres comme des ogres, mais la lumière décline inexorablement.

Pas envie de rouler au milieu de nulle-part à la bougie. Heureusement, nous finissons par arriver à Pongola, avec les dernières lueurs du jour. Mais il reste 21km, le lodge est caché à la frontière. La route s’assombrit et les camions qui font la navette avec le Swaziland sont nombreux. La lumière manque de plus en plus, surtout que je ne peux pas virer mes lunettes de soleil pour y voir plus clair. On se rapproche, il fait quasiment nuit, puis nous trouvons le petit lodge, caché au bout d’une piste. Un peu de tout-terrain de nuit pour finir cette journée improbable.
« Tu vois, c’est beau ? » Il fait nuit noire quand on descend des bécanes. Mais oui, c’est un petit paradis perdu pour nous. Bungalows et ambiance out of Africa. Robert Redford est fatigué, il pue et il n’a qu’une envie, c’est de siroter des bières. « Vu dans la vallée normalement, on en profitera un peu demain au petit dej’ », me réconforte Philippe le philosophe.
La cavalcade se termine au saloon du lodge, déserté des toursites en hiver, à siroter whiskey et gin tonic pour faire descendre la longue journée. « Par contre à 22 h il n’y a plus de courant, je vous préviens » lâche notre hôte. Il est 21 h et il n’a pas fallu nous forcer à partir dormir.

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