9 km, 1 300 mètres d’ascension, une pente qui oscille entre 20 à 40 % de dénivelé, un point culminant à 2 873 m, et une piste qui ignore l’existence du goudron, préférant se laisser façonner par la neige, le vent, l’eau et les éboulements. D’ailleurs, seuls les 4×4 sont autorisés à monter. Bienvenue sur la piste du Sani Pass, qui relie le sud du Lesotho à son voisin l’Afrique du Sud. Le terrain de jeu idéal pour repousser ses limites à moto.
Philippe m’avait vendu ça comme « le Cap Horn du motard », je me suis donc demandé si je pourrais pisser de bas en haut une fois passé. Ce Sani Pass, c’est un peu une obsession avec laquelle il m’a contaminé. Lui, le sud-africain d’adoption, il l’a monté sept ou huit fois, souvent avec une histoire rocambolesque qu’il faudra lui demander de vous raconter lors d’un apéro. Moi, j’ai mis trois fois les roues en tout-terrain. Pourtant, me voilà embarqué dans un défi stimulant, fou, magique et idiot : boire la bière Maluti dans le plus haut Pub d’Afrique, en regardant le Sani Pass droit dans les yeux.
Beaucoup de gens montent le Sani Pass et poursuivent leur voyage à l’intérieur du Lesotho. Une magnifique entrée en matière. Mais nous, nous avons décidé de faire les choses à l’envers, pour des contraintes « éditoriales ». Le Sani Pass nous fera quitter le Lesotho en apothéose. Seulement, pour le monter une fois, il faudra le descendre deux fois. Une idée à la con, une vraie, mais c’est pour servir la cause du journalisme moto !
Road trip A2 en Afrique : Qu’est-ce que le Sani Pass ?

Avant d’entamer l’ascension et puisque je vous ai survendu l’idée, il faut que je vous présente le Sani Pass. C’est une vieille piste qui ressemble plus à un chemin que des contrebandiers montent à dos de mules, qu’à une vraie route. Ça tombe bien, c’est justement ce qu’elle était en 1913.
Et puis un jour, un Sud-africain décide d’ouvrir le chemin pour passer en véhicule motorisé. Nous sommes en 1944 et David Alexander revient de la guerre en se disant que la Jeep Willys ferait le boulot parfaitement. Sauf qu’il se fait griller la priorité par Godfrey Edmond of Kokstad en 1948, justement en Jeep Willys. L’ancien pilote de Spitfire va mettre 14 heures pour grimper les 9 km. Il s’appuie sur toute une cohorte à pied pour lui ouvrir le chemin et faire parvenir la Jeep jusqu’au sommet.
Très vite, cette percée dans la chaîne du Drakensberg trouve un intérêt commercial et devient une ligne de vie pour la région isolée de Mokhotlong (que nous avons traversé dans l’épisode précédent). Mieux, la piste devient un terrain de jeu pour les aventuriers de la route. Camions, Coccinelles, motos, Land Rover, LandCruiser, tout ce qui roule dans la région part à l’assaut de la piste, afin d’accrocher le Sani Pass à leur palmarès. Il faut dire qu’il n’y a pas grand-chose d’autre à faire dans le secteur pour s’amuser un peu et que c’est toujours mieux que de chasser le lion.

Entre temps, dans les années 50, David Alexander a cherché à aménager la piste, il y installe au sommet un refuge pour les aventuriers, afin de s’abriter du vent glacial. Un lit chaud, un bon repas et de quoi boire. Le plus haut Pub d’Afrique est né. Depuis, le Sani Pass n’a jamais changé, protégé par des conditions climatiques rudes en hiver qui empêchent toutes tentatives de travaux sur la route.
Un champ de rocaille, une piste de contrebande, une voie de communication, une attraction touristique, mais aussi une réserve naturelle, le Sani Pass n’est pas juste un col comme les autres. Il a d’ailleurs récemment classé site UNESCO et il abrite plus de 2 400 espèces d’animaux et 400 plantes endémiques. Un petit paradis pour les amateurs d’ornithologie.
Un petit paradis aussi pour le poète off-road, puisque c’est ici que se déroule l’événement Hard Enduro le plus dur au monde : la Roof of Africa.
Road trip A2 en Afrique : Une montée aux 2 visages

D’habitude, j’aime bien commencer en vous disant qu’il fait froid. Pourtant, cette fois, il fait doux au poste frontière sud-Africain, tout en bas, à 1 400 m d’altitude. Par chance, nous avons un soleil éclatant, un ciel parfaitement bleu et la vallée visible aussi loin que l’horizon le permet. De quoi savourer l’épreuve qui nous attends.
La première partie de la piste n’est qu’une petite mise en bouche, c’est roulant, presque plat. Je me retrouve sur le troisième rapport, histoire de ne pas trop forcer. Le chemin est déjà un peu tourmenté, mais il n’y a pas de grande difficulté, si ce n’est quand on croise les 4×4 de touristes qui redescendent. Cela ressemble à une balade champêtre, le paysage est même un peu vert, on se croirait presque en Corse. On croise deux petits gués, alimentés par la fonte des neiges et les pluies, de quoi se rafraichir un peu en passant, avant de continuer l’ascension.
Une première belle épingle permet de jeter un œil sur la vallée en contrebas, c’est déjà magnifique, à couper le souffle ! Pour le moment, c’est au sens figuré, mais la situation va vite changer. Me voyant plein de confiance et pas franchement impressionné, Philippe s’amuse. Car l’air de rien, la pente a commencé à se raidir et désormais, trouver la bonne trajectoire devient un jeu de piste pour ne pas se retrouver en difficulté. Je tâtonne un peu, et mon manque d’expérience se fait sentir dans mes choix douteux. Et ce n’est que le début.
Road trip A2 en Afrique : L’enfer, c’est en haut

La balade change définitivement d’ambiance et devient une vraie ascension. Je ne regarde plus le paysage, mais la piste à la recherche d’un salut. Je commence à serrer les dents, oubliant le conseil prodigué par les amis de Petokask ” il faut toujours sourire, ça va t’aider à te détendre et à mieux garder le contrôle”, me disait Stéphanie Rowe. Pour le moment, c’est tout droit, et la principale difficulté vien de la traction du pneu arrière à l’accélération. Il faut mettre suffisamment de gaz pour garder un élan et ne pas s’arrêter. Mais la KTM est en train de torturer ses pneus en cherchant l’adhérence au sol, enfin sur le tas de cailloux qui sert de sol. Je suis sur un fil, trop de gaz et je plonge dans le ravin. Pas assez, et je tombe dans le ravin.
Je viens de redescendre sur le 2e rapport, et commence à douter de l’intérêt de la puissance en off-road, quand j’observe mon monocylindre travailler tout au couple. Philippe me signale que nous arrivons sur la partie finale, une série d’épingles serrées, qui s’enchainent sans répit. La pente est passée à 30-40% de dénivelé et la piste torturée par l’érosion ne ressemble plus qu’à un pierrier qui cherche à masquer les crevasses. La balade semble virer au cauchemar pour débutant.
Je ne sais plus où mettre les roues, j’ai le choix entre le pire et le moins pire. ” Ha p**** j’aurais dû prendre l’autre côté !”, je suis en galère, je me retrouve stoppé dans la montée. Je sue à grosses gouttes, je rêve de balancer mon casque et de finir à pied. Philippe est redescendu pour vérifier que tout allait bien, “C’est le dépassement de soi-même ! C’est génial non ? Tu n’es pas venu pour ça ?”, je maugre sous mon casque pour m’être laissé embarqué dans cette histoire pour une bravache de fin de soirée trop arrosée.
Il faut reprendre la douloureuse ascension, et ce n’est que le début de la fin. Je tente de remettre la moto dans le sens de la marche, sans glisser sur les cailloux. Je remonte en selle comme on rentre dans un magasin de porcelaine. Je cherche mon souffle, go !

La trace est imprévisible, elle change tout le temps. Ce n’est pas une putain de piste, c’est un champ de galère. Les enduristes trouveront cela facile, probablement, ou tout du moins un peu piégeux. Il ne faut pas que je me rate, le terrain glisse sous la moto, je lève la tête, je regarde vers le haut en ayant l’espoir de fuir ce merdier et d’oublier le chaos sous mes roues. La KTM ne bronche pas, elle encaisse, elle se laisse faire, voire, elle me porte. Ça vibre dans tous les sens, la moto sautille, les suspensions travaillent à fond pour nous garder debout, on encaisse, je fatigue, je n’en sors jamais ! Il faut rester concentré, chaque virage rajoute de la tension. Il faut anticiper et improviser en permanence.
L’instinct de survie a débloqué mon bassin, pour la première fois de ma vie. Je me retrouve à pivoter, sortir le cul pour tourner sans m’arrêter, le regard toujours vers la sortie, vers l’espoir. Doucement, pas trop. Remettre du gaz, pas trop. D’un côté le vertige de la vallée qui n’est plus qu’un grand vide prêt à m’avaler à tout jamais, de l’autre côté la montagne qui se dresse et qui semble essayer de m’étouffer pour m’empêcher de monter.
Il ne faut pas s’arrêter. Si ! Il faut s’arrêter ! Je n’ai plus d’air, j’ai besoin d’une pause, il faut que je respire, l’altitude se fait sentir. Je bénis l’idée d’avoir une petite moto et pas un gros trail trop lourd. Je pense que je serai coincé depuis bien longtemps. Ici la puissance ne sert à rien, juste de la finesse, de la traction, beaucoup d’équilibre, et l’expérience pour ne pas subir. Moi, je subis comme jamais. “Je n’ai rien à foutre ici !”, l’apoplexie me fait perdre mon flegme habituellement à toute épreuve. Philippe redescend encore une fois prendre de mes nouvelles, mais cette fois il garde un peu de distance, sait-on jamais. Mes muscles sont saturés, ma volonté éprouvée. Même la vue incroyable ne me réconforte pas.
Désormais, nous sommes dans l’ombre glaciale du Sani pass, je n’ai pas froid, mais le verglas et la boue gelée, ont remplacé la végétation. Je me retrouve claquemuré entre les parois, comme une allégorie d’une idée à la con qui semble mal tourner. Et puis les derniers virages, un dernier appel à l’ordre qui manque de me faire basculer et le ciel se rouvre enfin, l’arrivée s’annonce au bout, il faut viser le soleil, se cramer les yeux pour la bonne cause ! Je tends la tête et mon corps vers l’objectif, je suis debout sur l’avant de la KTM mais la moto semble, elle aussi, debout dans la pente qui défit la gravité.
Ça y est ! C’est fait ! 1 332 m plus haut, un certain temps plus tard, le Sani Pass a été gravi !
Au poste de douane, les gardes qui nous voient revenir, s’amusent de notre petit manège. “Alors, c’était sympa, vous avez bien profité ?”. Philippe grand sourire, moi, je crois que le mien est resté en bas.
Road trip A2 en Afrique : tout ça pour une bière

Le bilan ? Ce n’est pas une route de débutant, c’est un vrai défi et je reconnais que mes stages en France m’ont permis de rester debout et d’éviter la chute. Mais je n’étais pas du tout au niveau pour profiter de la balade, et le Sani Pass m’a tenu en respect. Peut-être aurais-je dû rester raisonnable, reconnaitre mes limites et ne pas faire l’ascension, mais ce voyage n’aurait pas la même saveur. C’est le Sani Pass qui l’a transcendé et c’est aussi ça l’aventure, faire des choses que nous ne sommes pas censés être capable de faire. Philippe avait raison, mais il ne faut pas le lui dire.
Avec le recul, j’ai adoré, mais je garde une certaine frustration. Celle d’un égo froissé de ne pas avoir mieux fait. Heureusement, je vais devoir y retourner pour pour récupérer les morceaux de cet égo qui sont tombés dans la montée.
Au Sani Mountain Lodge, la Maluti est savourée à grande gorgée au soleil couchant. Le Sani Pass s’endort tranquillement dans la nuit tombante. Je le regarde de haut, mais lui et moi, on sait lequel a dominé l’autre. Et demain, il tentera à nouveau de prendre son tribut, lorsque nous allons devoir le redescendre, chargé cette fois, pour continuer notre voyage vers l’océan Indien. En attendant ce soir, je vais bien dormir
Comme vous avez un peu souffert avec moi, je vous laisse une petite galerie d’image. À savourer avec une bière fraîche !














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