Suivant l’adage, “ce que tu montes, tu vas devoir le redescendre”, nous n’irons pas déranger le ciel de plus près et il faut redescendre sur terre. Mais le Lesotho sait jouer des contrastes et va continuer à nous surprendre en transformant une nouvelle fois ses montagnes. Notre voyage prend une nouvelle dimension.
Road trip A2 en Afrique : Ici, il y a tout et il n’y a rien

Nos KTM tracent sur un bitume parfait, une route quasi déserte et de grands virages que l’on enchaîne en rythme. Le tout, avec une vue plongeante sur un paysage qui a remplacé le blanc par une palette de teinte dorée. Les montagnes arides semblent avoir été sculpté par la mer qui se serait retirée il y a des millions d’années. Petit moment atmosphérique, on ne pense plus à rien et l’on descend au point mort, pour ne pas parasiter l’instant.
Ces collines arrondies font écho au toit des habitations de la région de Mokhotlong. (n’oubliez pas la prononciation : Morrrotlong). Ces petites maisons rondes vous rappellent que vous n’êtes pas encore sur une autre planète, mais bien en Afrique. Elles sont en pierre et en ciment et non pas en terre, car il faut s’isoler du froid la nuit. Si la région semble brulée par le soleil, il fait toujours frais ici.
Quelques enfants s’amusent de notre passage et nous demandent un peu de nourriture pendant nos pauses photos, au cas où. Un rappel que la richesse des paysages ne fait pas la richesse de l’homme. Dans cette contrée reculée, on vit de l’élevage, surtout des moutons et des chèvres qui fournissent notamment la laine de mohair. Pour le reste de l’économie, ce n’est pas la ruée vers l’or du Far-west, mais celles vers les mines de diamants, aux conditions de travail difficiles, qui ont fait grandir la petite ville de Mokhtlong, sans vraiment réussir à la faire rejoindre la prospérité du monde moderne.
C’est ce qui nous vaudra un débat, du genre que l’on a après le repas, au digestif. La question de la relativité du bonheur, particulièrement dans un tel environnement. Le confort matériel et la technologie nous rendent-ils obligatoirement plus heureux que le cow-boy basotho (prononcer « soutou ») enveloppé dans sa cape en mohair ?
Il faudrait s’arrêter et prendre le temps pour trouver la réponse. Mais c’est le point faible de ces voyages à moto : l’inexorable besoin d’avancer. Chaque arrêt, c’est une petite mort pour le motard, du temps perdu, il doit avaler du kilomètre pour étancher sa soif d’aventure.
Road trip A2 en Afrique : Apologie de la lenteur

Notre arrivée dans un petit lodge qui n’avait pas prévu de nous nourrir le soir, va nous pousser en ville. Une Maluti dans un bar en attendant de manger, quoi de plus anodin ? Pourtant, l’expérience va être plus intense que prévu. Le courant est coupé dans toute la ville depuis ce matin. Alors, dans le bar, c’est ambiance pénombre et lampe tempête pour un peu de lumière. Nous sommes les seuls blancs présents, ce qui mérite un petit coup d’oeil à notre arrivée et puis nous finissons par disparaitre dans le décor. Les Basothos n’ont pas connu l’apartheid et le protectorat britannique était tenu à distance des affaires du pays. Nous sommes donc libres d’être nous-mêmes et non pas des représentants de l’histoire. Le courant revenu, nous partons manger avant de rentrer au guesthouse. Oui, nous avons brisé la sacro-sainte règle du voyage en Afrique : ne pas rouler de nuit. Promis, ce n’était que quelques kilomètres.
La nuit a été fraiche une nouvelle fois, l’électricité fébrile pour alimenter les lits chauffants par intermittence. Peu importe, le petit déjeuner était copieux et ce matin, nous décidons de rouler pour faire des photos.
L’occasion de découvrir qu’ici, la lumière garde sa teinte dorée à tout moment. Ces montagnes et ces vallées sont incroyables, elles ressemblent aux paysages que j’ai vus à Oman, ou encore au Maroc. Non, c’est une pause au bord de la route qui va trancher : c’est le Colorado. L’Amérique revient à la charge, encore une fois. Le spectacle est magnifique, un canyon immense, qui serpente en contrebas. L’eau qui coule au fond semble avoir creusé patiemment un dessin dont le seul à en profiter est le ciel, et maintenant notre drone venu briser la poésie de ce mystère.
De bonne humeur et certainement envouté par le décor, Philippe finit par hausser le rythme sans s’en rendre compte. La route sinueuse s’y prête et je lui emboite le pas. Un moment de bonheur motard, un peu égoïste, un peu bof, mais jouissif. Je garde un œil sur les endroits pour faire des images, mais je finis par m’inquiéter quand nous nous mettons à reprendre de l’altitude et que la neige est de retour. Philippe est parti bien loin, enivré par la route, il en oublie la contemplation au profit de l’exaltation. Il finira par redescendre de la montagne et de son trip.
Road trip A2 en Afrique : Chaque vallée est un trésor

Nous trouvons une petite rivière, avec un pont qui fera un décor parfait pour quelques photos. J’en profite pour continuer à vous raconter le Lesotho. L’eau, c’est une autre une richesse de ces montagnes qui servent de château d’eau à l’Afrique du Sud. Le voisin est tributaire du petit pays pour irriguer ses immenses champs de l’infini. Mais les autorités basotho n’ont pas les moyens de financer les projets de barrage. Alors, c’est Pretoria qui met la main à la poche pour faire construire les infrastructures qui servent à tout le monde. Les deux voisins se prêtent ainsi à l’interdépendance.
Nous terminons d’impressionner des gamins, venus piocher du sable près de la rivière, avec notre drone et nous repartons. Cette fois, on ne rigole plus, direction le Sani Pass. « Bon, à partir d’ici, il va falloir que tu sois fort pour ne pas t’arrêter toutes les 5 minutes pour faire des photos. Fais-moi confiance, on ne va pas manquer d’images ! », me prévient Philippe qui s’inquiète de me voir à nouveau grogner s’il part devant trop vite.

Il avait raison, tellement raison. Je viens de vous vendre l’or des montagnes, je vous propose désormais d’y rajouter des petites touches d’émeraude, juste du bout du pinceau. Avec sa beauté rustique et envoutante, ce pourrait être la vallée du Panchir ou encore le Montana.
La route est superbe, toute neuve grâce aux Chinois qui l’ont récemment construite. C’est à la fois plaisant et confortable, mais aussi décevant de voir la modernité parvenir jusqu’ici, dans notre voyage hallucinogène. Pour les Cow-boys Basotho emmitouflés dans leurs capes, la route est juste un chemin plus facile à emprunter pour mener leurs ânes et leurs moutons, sans vraiment regarder passer les touristes qui empruntent cet axe. Même ces étranges cavaliers qui chevauchent des Autrichiennes oranges n’ont pas réellement d’intérêt.
Si le noir de la route vous déprime, sachez que le Lesotho possède de nombreuses pistes pour rouler en tout-terrain, rappelez-vous ce que nous disaient nos amis de Durban dans l’épisode précédent. Philippe et moi savourons cette belle route où nous sommes seuls, comme si nous avions pu privatiser le spectacle, celui de l’eau qui façonne tout ce pays. C’est elle qui règne sur le Lesotho.
D’ailleurs, étonnant comme d’une vallée à l’autre, chaque passage de sommet propose un nouveau décor, une nouvelle atmosphère, un nouveau coffre de pirate à ouvrir. Et puis vient la dernière montée qui ressemble à un baroud d’honneur de la végétation.
Un dernier regard vers la vallée. Les diamants convoités par les hommes paraissent bien vulgaires en comparaison de ces trésors naturels.
Road trip A2 en Afrique : Seuls sur Mars

Nous grimpons à nouveau, sur cette route déserte qui ressemble à une hallucination goudronnée. 3 240 m, un dernier col et le retour de la neige. Cette fois, la route est plus piégeuse, des plaques de verglas se cachent tapies dans l’ombre.
Puis c’est la descente vers le Sani Pass. Une plongée vertigineuse pour finir par atterrir sur la planète Mars. Les lacets nous conduisent vers un plateau, un champ de cailloux où rien ne pousse, si ce n’est quelques maisons de bergers qui semblent abandonnées.
Je sens le stress monter. C’est le moment fort de notre voyage, celui pour quoi nous sommes venus. Le défi, l’idée à la con qui peut tout transcender ou simplement se retourner contre moi. Nous sommes presque au but, nous approchons du poste frontière, mais nous ne le franchirons pas.
Nous avons fait le voyage à l’envers et sommes arrivés par le haut. Nous passerons donc la nuit à l’abri, au Sani Lodge et demain, il faudra descendre la redoutable piste, pour mieux la remonter. Un truc de Shadock.
En attendant, il va me falloir quelques Maluti pour réussir à m’endormir. Dans ma petite cahute de chambre, le poêle à bois tente de maintenir la pièce dans les températures positives, mais il finira par s’éteindre, exténué par l’effort, bien avant moi. Dans le noir et le froid glacial, je sers la bouillotte contre moi, avec juste le nez qui dépasse de mes 4 couvertures. Me voilà seul avec moi-même, au bout du monde et demain, je vais en chier.
Pour lire la suite de l’aventure :
Pour (re)lire la mini-série en 8 épisodes des 2 700 km entre Afrique du Sud / Lesotho / Eswatini :
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