Au réveil ce matin, j’ai été à nouveau cueilli par le froid. Cette fois, la petite KTM 390 ADV est couverte de givre. Conséquence logique de venir rouler au Lesotho en hiver, puisque le plus haut pays d’Afrique, est le seul au monde à être complètement perché au-dessus de 1400 m d’altitude, ce qui lui vaut le surnom de Royaume dans le ciel.
Road trip A2 en Afrique : ain’t no mountain high enough

Marvin Gaye et Tammi Terrell ne connaissaient certainement pas le Lesotho.
Ce pays apparait comme une anomalie sur une carte. Protégé par ses montagnes contre les attaques des Zulu, puis aidé par les Britanniques contre les Boers, le royaume est le seul pays, avec Saint-Marin et le Vatican, à être entièrement enclavé par son voisin.
La partie basse et ses plaines se trouvent à l’ouest. Cela tombe bien, car nous allons au sud-est, direction le cœur de la chaine du Drakensberg. Ce nom signifie rempart du dragon en Afrikaners. Les Zulu parlent de Ukhahlamba, le rempart de lance. Avec Philippe, on part donc pour une belle séance de grimpette et j’espère que la petite 390 ADV va sortir le maillot à pois pour franchir les cols à travers la montagne Maloti. « Vous êtes sûr ? », nous regarde un peu ahuri le pompiste qui nous fait le plein ce matin, « il a beaucoup neigé là-bas ces derniers jours et les cols risquent d’être fermés », échange de regard avec Philippe, « tu vois, on est venu chercher l’aventure, on va la trouver ! », me lâche-t-il tout heureux.
En attendant, il faut fuir la région la plus peuplée de ce pays qui compte à peine 2,3 millions d’habitants, principalement à Maseru, la petite capitale. Il faut se faufiler dans le trafic, tout en évitant les nombreux « potholes », les nids-de-poule qui ont tendance à surgir au dernier moment. Depuis Butha-Buthe au nord, nous prenons la direction de Mokhotlong (qu’il faut prononcer Maurrrrrooootlong). 190 km qui promettent Monts et merveilles une fois sur les routes de montagne.
Road trip A2 en Afrique : do you know “col de la Bonette” ?

En grimpant, je pensais que le petit monocylindre de la KTM allait souffrir. Finalement, il n’a pas bronché, jouant son rôle de petite mule pour grimper, aspirant la route et l’air qui se raréfiait au fur et à mesure de l’ascension, juste un ou deux rapports à tomber pour retrouver un peu d’élan à la relance. Mais sur ces routes de montagnes sinueuses, où les épingles sont abondantes, il est assez rare de passer la 4e. Tant mieux pour la KTM qui surf plus qu’elle ne grimpe, et finalement, c’est le pilote qui finit par souffrir à cause du tournis et du froid. Il va falloir marquer un arrêt pour sortir les gants chauffants. Au fur et à mesure, la neige vient décorer les bords de la route. On ne voit pas ça tous les jours dans la région, d’ailleurs beaucoup de gens du coin s’arrête pour une photo, émerveillés par le manteau blanc sur ce paysage de montagne africaine.
Justement, en pleine extase de l’ascension, le coup d’arrêt ! Non pas la panne, mais le bouchon arrivé au passage du premier grand col. Est-il fermé à cause de la neige ? Un camion bouche la vue, mais on aperçoit au loin un poids-lourd couché sur le côté et un autre en travers. Un croisement hasardeux ? Hypnotisé par la neige ? C’est un peu le bordel et les locaux improvisent une manœuvre pour débloquer la situation. Ça gesticule beaucoup et ça finit par avancer un peu. Suffisamment, pour que nous nous faufilions pour passer de l’autre côté.
Une dernière vallée au charme rugueux fait de caillasse, puis c’est l’hallucination. En un virage, se dévoile un plateau complètement blanc, une langue de bitume noire vient tracer un sillon au milieu. La lumière m’éblouie à cette altitude et j’ai l’impression de rouler au milieu de l’Himalaya, ou sur Mars en hiver, la route goudronnée en plus. Ma rêverie habituelle manque de m’envoyer dans le décor, j’ai roulé sur un tas de neige resté au milieu de la route. La neige est dure et la moto glisse immédiatement, je guidonne, minirodéo qui manque de m’éjecter, mais je retrouve par miracle le contrôle. Philippe n’a rien vu, pas la peine de lui notifier l’incident.
Road trip A2 en Afrique : classe de neige

Un panneau indique une direction étrange « Afriski ». Tiens ? Dubitatif, je vais découvrir qu’il y a une station de ski au Lesotho, l’une des 2 seules d’Afrique subsaharienne, avec Tiffindell non loin de là. La Courchevel africaine n’est pas franchement énorme, juste une remontée et une grande piste. Habituellement alimentée par des canons à neige, cette fois, elle est naturellement poudrée. La station est prisée des Sud-africains qui viennent chercher le dépaysement le temps d’un weekend, et pourquoi pas s’initier aux sports de glisse. La jeunesse dorée de Maseru aussi vient profiter de l’endroit, mais à défaut de descendre la piste, elle descend des Maluti, la bière locale. Nous devenons une attraction avec nos gueules d’européens et nos motos, et afin d’échapper aux demandes en mariage, bien que la dote semblait avantageuse, nous décidons de poursuivre notre périple.
La route est désormais goudronnée à la perfection. Oublié les embouteillages et les nids-de-poule du matin. Le plateau qui s’ouvre devant nous est superbe et l’idée germe en moi : c’est l’endroit idéal pour organiser une hivernale d’été ! J’entends les spécialistes qui râlent justement parce qu’il y a trop de route goudronnée…
Et puis nous croisons un groupe de motard en pleine pause technique. Nous nous arrêtons pour taper la discute, après tout, ils sont équipés en KTM 790 Adventure et 1290 Superadventure. Protocole de motard oblige, on échange d’abord sur nos motos, les petites 390 ADV reçoivent le plus de compliments.

Si leurs motos ont de quoi envoyer du bois, l’équipement est plus hétéroclite : bottes fracassées, pantalons jean, vestes d’été en mèche, gants usés jusqu’à la corde, « vous venez d’où les gars ? – Durban, on se fait un petit road trip à travers le Lesotho pour quelques jours ! ». Effectivement, à Durban, il doit faire 25 degrés de plus, ce qui explique l’équipement d’été plus que la rusticité sud-africaine. Eux aussi voyagent léger, mais ça sent le motard expérimenté, « on cherche les pistes pour s’amuser un peu, il y en a pleins au Lesotho. D’ailleurs, on a grimpé le Sani Pass, vous connaissez ? », oui, c’est notre objectif !
Une petite photo souvenir. Des femmes qui promenaient leur troupeau décident de se joindre à nous. Emmitouflées dans ce qui ressemble à une grosse couverture, il s’agit en réalité d’un vêtement traditionnel, une cape en mohair, en poil de chèvre, qui tient très chaud. Ici l’hiver, les nuits peuvent tomber à -18 °C à certains endroits. Moi, je ne regrette pas d’avoir enfilé mes sous-vêtements techniques et ma polaire. C’est moins chic au niveau du style, mais ça fonctionne.
En repartant, une rencontre avec un taxi qui arrive en face va nous donner un coup de chaud. La route est couverte de verglas et de neige, avec la moto, Philippe qui ouvre la route, ne peut pas se mètre sur le côté. Le taxi continue d’avancer tout droit. Il va pousser Philippe qui tente de l’éviter en mettant les roues dans la neige. La scène se déroule au ralenti, le taxi s’en fout, allant jusqu’à pousser la moto de Philippe plantée dans la neige pour continuer sa route. Je vous avais dit que les taxis n’étaient pas nos amis ici.
Road trip A2 en Afrique : prochain arrêt, le ciel

Sur la plaine d’ivoire, j’ai l’impression d’être arrivé au dernier étage de l’Afrique, plus haut, c’est le ciel dont le bleu cherche à rivaliser en pureté avec le blanc de la neige. Hemingway parlait des vertes collines d’Afrique, il aurait adoré les montagnes blanches du Lesotho.
Nous sommes à 3 225 m d’altitude, au Tlaeng Pass, le prochain col sera à 3 400 m, mais il n’y avait pas de panneau pour marquer le coup en photo. Plus haut ? Seul le sommet du Thabana Ntlenyana tout proche, culmine à 3 600 m pour s’adjuger le titre de toit de l’Afrique australe.
Sortir le drone pour faire des photos ne fait que servir de prétexte pour savourer l’instant. Même Philippe, le pressé, se trouve apaisé pendant quelques minutes. Je pense qu’il cherche surtout à reprendre son souffle, l’air manque un peu à cette altitude, et partir pisser derrière un rocher demande un effort de coureur de fond.
Il est 14 h, nous sommes à mi-parcours et la suite de la journée va nous faire redescendre seulement pour changer de planète. Pour vous, il faudra attendre l’épisode 5 pour reprendre la route.
Pour lire la suite de l’aventure :
Pour (re)lire la mini-série en 8 épisodes des 2 700 km entre Afrique du Sud / Lesotho / Eswatini :
Super,le trip et le texte qui sait faire évader l’esprit ,en l’amenant loin avec vous!! signé ERIC Motard du 12 rodez