Il a fait froid toute la nuit et le chauffage ne fonctionnait pas. Ici, c’est l’hiver et comme il ne dure que quelques semaines, les habitations ne sont pas isolées. Dehors les petites KTM sont complétement embuées de leur nuit, mais contrairement à nous, ce n’est pas à cause de la bouteille de Shiraz de la veille.
Road trip A2 en Afrique : on the road enfin

Il fait 7 degrés et sacrémnt humide. L’heure de pointe sur les grands axes doit être passée, il faut donc prendre la route. Nous quittons Jo’Burg, une heure pour sortir de ses immenses banlieues en slalomant entre les vieux tacos trop lents qui se rabattent à l’improviste, et les gros 4×4 trop rapides qui déboitent à fond. Peu à peu, la ville cède sa place aux champs. Le ciel plombé de gris vient rajouter à la morosité de la campagne de la région du Guateng. L’impression de rouler dans le Val-de-Marne au mois de novembre, plus que d’être dans le Roi Lion pour le moment. Les plaines agricoles sont parsemées d’immenses usines pétrochimiques qui ont fait la puissance du pays, et de bidons villes pour les travailleurs de cette puissance.
Sans vraiment comprendre ni comment ni pourquoi, le Val-de-marne finit par se transformer en Midwest américain. Les champs immenses à perte de vue, coupés par des lignes droites de bitumes qui foncent vers l’infini du ciel redevenu bleu, sans jamais dévier de leur objectif. Sur nos petites KTM nous pourrions nous sentir frêle, dépouillé, surtout quand on dépasse les gros camions. Mais le monocylindre de 390 cm³ ne s’en laisse pas compter. Tranquillement accroché au-dessus des 130 km/h, la moto avale le bitume sans broncher, comme une grande. On y est même confortable sans pour autant être dans un salon roulant. Juste ce qu’il faut, pas plus, comme l’esprit que nous voulions de ce voyage.
Road trip A2 en Afrique : Buffalo Bill et Billy the Kid

La route défile moins vite que sur une grosse cylindrée, ce qui laisse le temps d’observer les énormes vaches qui paîtrent en liberté dans les champs jaunis. Quelques fermes aux toits rouillés, avec ce réservoir d’eau et la petite éolienne qui vient fournir la pression. Peu à peu, sur ma monture, j’ai la sensation d’être au far-West, d’être un cowboy parcourant ce pays. La playlist de mon cerveau se fait avoir et vient de lancer Johnny Cash pour accompagner le périple.
J’étais venu chercher l’Afrique, je me suis trompé de continent. Une petite pause photo pour tirer le portrait des Autruches et de gros Springboks nous fera revenir à la réalité, ou retomber dans une autre rêverie du bout du monde, celle des safaris. Je lance le drone comme on lance un lasso, pour capturer les bêtes en image. Le coup de klaxon des camions qui passent nous empêche de partir trop loin, ça tombe bien, il faut terminer d’avaler les 500 km de la journée. Alors, Buffalo Bill et Billy the Kid remontent en selle sur ce que j’appelle désormais la route 66 de l’Afrique, “bah oui, tu vois bien que ça ne ressemble pas trop à la nationale 7, c’est plus joli !”, se moque Philippe, “mais promis, ça va être de plus en plus beau en arrivant sur le Lesotho”, cherche-t-il à me rassurer devant ma moue sceptique.
Road trip A2 en Afrique : terre de contraste

Quelques centaines de kilomètres plus loin, je me rends compte qu’ici, les routes ne traversent jamais vraiment les villes. « Elles servent généralement de séparation entre le centre-ville qui était blanc et les Townships dans lesquels les noirs étaient regroupés », m’explique Philippe Cow-boy géographe. L’apartheid a laissé sa trace dans l’urbanisme, les populations noires et la misère sont parquées en périphérie des villes. « Tu ne verrais pas ça en Europe … », s’amuse cynique mon camarade.
Nous sortons de la route principale, ou plutôt, elle finit par s’arrêter d’elle-même. L’Amérique bitumée laisse enfin place à la piste en latérite. Cette fois, on y est dans l’ambiance africaine, ou en tout cas son cliché pour motard en mal d’aventure. Philippe n’a pas l’air d’avoir perçu la différence de surface, la piste est roulante et nous voilà en train de la parcourir à 100 km/h de moyenne.
De mon côté, petite appréhension de débutant au début, le temps d’assimiler l’information, et puis… Et puis au bout d’un moment, on s’adapte et on fait avec. La KTM 390 m’aide bien dans l’exercice, pas besoin de forcer pour la maitriser, et ses suspensions WP absorbent toutes les bosses sans me secouer dans tous les sens. J’ai l’impression de vous faire un placement de produit, mais c’était suffisamment réconfortant pour le signaler.
Phil ralenti dès qu’il voit une zone sombre sur la piste : un passage défoncé ou humide qui fait office de ralentisseur naturel. 50 km parcourus entre les champs, dans une ambiance Out of Africa, la première du voyage. Mais les camions qui passent par là, encore eux, cracheront suffisamment de poussière pour m’arrêter dans mon fantasme. Encore une fois.
Road trip A2 en Afrique : au bout de l’infini, le Lesotho

Retour du bitume et de la civilisation. L’occasion de nous perdre un peu. Nous sommes à Bethléem. « Heu, on n’est pas parti un peu loin là ? », personne pour entendre ma blague à ce moment-là, est-ce vraiment une perte ?
On a refusé d’embarquer un GPS, mais le temps nous manque pour jardiner à l’ancienne et l’on finit par sortir Google maps de la poche pour reprendre le bon chemin. Une pause photo pour alimenter notre reportage, et les kilomètres se remettent à défiler. Voyager à moto, c’est avaler les kilomètres, encore et encore. La destination se mérite.
Peu à peu, l’infini commence à dessiner ses limites. Ce sont les montagnes du Lesotho qui se montrent au bout des champs qui ne semblaient jamais trouver d’obstacle .
C’est beau, mais c’est loin ! Nous voilà au pied de ce pays montagnard. Mais d’abord, il faut abaisser le pont-levis : le passage de frontière. Un moment toujours fort en symbole et en émotion. L’année dernière, on en avait passé une quinzaine lors de notre périple à travers l’Europe. Même avec Schengen, cela reste toujours un truc. Avec un poste frontière, ça rajoute un petit suspense pour le côté « votre passage n’est pas acquis ».
Dans certains pays d’Afrique francophone, un poste frontière ressemble à un bordel organisé où il vaut mieux être vif d’esprit pour réagir aux jeux des douaniers qui ne manqueront pas de trouver une petite faille à exploiter pour vous soulager de quelques billets, sous-couvert de réglementation, voir à vous casser sérieusement les couilles par principe et rétribution rétroactive pour le passé colonial de la France.
Mais ici, le premier poste sud-africain est flambant neuf, climatisé, contrôle des passeports biométriques, un bonjour « how are you ? good ? » et puis un tampon, merci au revoir. Easy. « L’héritage de l’administration britannique », s’amuse Philippe.
Ce sont les douaniers du Lesotho qui vont nous faire douter de nos théories douteuses. Un vieux permis datant des années 80, et Philippe nous entraine dans une scène cocasse entre confusion des agents et tentative maladroite d’un douanier de gratter un billet. « Vous êtes en infraction, blablabla, mais j’ai décidé de vous laisser visiter notre magnifique pays. Il faudra faire les démarches la prochaine fois. Vous pouvez passer, Au revoir messieurs. ». Le chef du poste de douane a tranché au bout d’une heure. Me voilà étonné, Philippe amusé et le sous-fifre dépité de voir partir son billet.
Bienvenue au Lesotho, Royaume montagnard enclavé dans l’Afrique du Sud. Bienvenue dans une autre Afrique.
Pour lire la suite de l’aventure :
Pour (re)lire la mini-série en 8 épisodes des 2 700 km entre Afrique du Sud / Lesotho / Eswatini :
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